La phonologie
Phonétique et phonologieL'étude phonétique d'une langue peut se faire sans faire appel au sens. À la limite, on pourrait étudier les caractéristiques phonétiques d'une langue qu'on ne comprenait même pas. Par contre, la phonologie s'occupe de la fonction des sons dans la transmission d'un message. Il faut donc comprendre une langue pour faire de la phonologie. En d'autres termes, la phonologie recherche les différences de prononciation qui correspondent à des différences de sens, ce qu'on appelle des oppositions distinctives. Or, tous les changements de prononciation ne changent pas le sens. Par exemple, il existe dans les pays francophones plusieurs variantes du [R]. Ou encore, si on compare la prononciation québécoise et française d'un mot comme toute, on entend une différence. Malgré ces différences, le sens ne change pas: tout le monde comprend le même mot. Mais d'autres changements de prononciation peuvent influencer le sens. Prenez
le cas de [Ru Si la commutation change le sens, nous tirons la conclusion que les deux sons appartiennent à deux classes distinctes. Chaque classe s'appelle un phonème. Contrairement à un son, qu'on peut entendre et mesurer, un phonème est une entité abstraite, une classe de sons qui partagent la même opposition à d'autres sons dans une langue. Dans la transcription, on distingue les phonèmes des sons par l'utilisation de barres obliques plutôt que des crochets. [b] est un son, mais /b/ est une classe de sons ou phonème. Notez qu'on sépare les membres d'une paire minimale ou deux phonèmes en opposition par le symbole ~ : /b/ ~ /R/. Les systèmes de phonèmes varient d'une langue à l'autre. Par exemple, le français oppose les phonèmes /y/ et /u/, comme le démontre la paire minimale /ry/ ~ /ru/ (rue - roue). En anglais par contre, cette opposition fait défaut, puisque l'anglais n'a pas de phonème /y/. Les phonèmes consonantiquesDans le cas des consonnes, on a tendance à tester pour l'existence de phonèmes dans deux contextes distincts:
Par exemple, en début de syllabe, on peut opposer le phonème /p/ à une série de termes opposés, en relevant des paires minimales. Ainsi, on a /po/ ~ /bo/ (peau ~ beau), /po/ ~ /to/ (pot ~ taux), /pu/ ~ /ku/ (pou ~ cou) et ainsi de suite. En fin de syllabe, on peu procéder de façon analogue. Ainsi, toujours dans le
cas de /p/, on peut opposer /tip/ ~ /ti La recherche des paires minimales est un art qui s'acquiert avec de l'expérience. Il y a cependant des outils qui rendent la tâche plus facile, notamment les dictionnaires. Pour la position initiale, un dictionnaire général est généralement suffisant. Par contre, pour la position finale, il vaut mieux faire appel à un dictionnaire inverse, dans lequel les mots sont classés en ordre alphabétique selon leur terminaison. Voir la liste des lectures en fin de chapitre pour des références.
Les phonèmes vocaliquesDans le cas des voyelles, on a tendance à opposer les phonèmes potentiels en syllabe ouverte et en syllabe fermée. Ainsi, en syllabe ouverte, on peut opposer /i/ ~ /e/ dans une paire minimale comme /si/ ~ /se/ (si ~ ses), /i/ ~ /u/ dans une paire comme /si/ ~ /su/ (si ~ sous) et ainsi de suite. En syllabe fermée, on peut opposer /
La distribution complémentaireDans certains cas, on ne peut pas opposer un son à un autre parce que les deux ne figurent jamais dans le même contexte. Prenez le cas du [ts] qu'on entend en français québécois devant des voyelles antérieures fermées ([tsir], [tsy]). Dans ce parler, là où on prononce [ts] on ne prononce jamais [t], et vice versa. Ces deux sons sont donc en distribution complémentaire. Là où on a la distribution complémentaire, on ne peut pas avoir de paire minimale, et par conséquent on doit considérer les deux sons comme variantes d'un même phonème. La neutralisationDans d'autres cas, deux sons s'opposent dans un contexte, mais non pas dans
un autre. Prenons les voyelles [e] et [
Les traits distinctifsLorsque deux phonèmes s'opposent entre eux, il est possible d'identifier les traits distinctifs qui les opposent. Par exemple, dans le cas de l'opposition entre /p/, /t/, /k/ d'une part et /b/, /d/, /g/ d'autre part, la présence ou absence de voisement est le trait distinctif qui nous permet de situer les deux classes. Chaque langue sélectionne un certain nombre de traits distinctifs parmi
l'ensemble des possibilités offertes par les langues du monde. Ainsi, en
français, le trait distinctif arrondissement est utilisé pour
distinguer /i/ et /y/, /e/ et / Parmi les traits distinctifs utilisés par le français, signalons:
Le rendement des oppositionsLes différents traits distinctifs se trouvent dans un nombre plus ou moins
élevé de paires minimales. Le nombre de paires minimales où on trouve un trait
fournit une mesure de son rendement. Par exemple, le trait de
voisement se trouve dans un grand nombre d'oppositions entre phonèmes: /p/ ~
/b/, /t/ ~ /d/, /k/ ~ /g/, /f/ ~ /v/, /s/ ~ /z/, / Le concept de rendement s'applique également à l'opposition entre des paires
de phonèmes. C'est-à-dire, là où le nombre de paires minimales où on trouve un
trait devient très petit, l'opposition risque de disparaître. Par exemple, il
existe très peu de paires minimales pour le couple /a/ - /
Au-delà du rendement des oppositions, on peut mesurer également la fréquence des phonèmes individuels, à partir de corpus oraux.
Réactions phonologiques dans la chaîneComme nous l'avons déjà vu, nous parlons par chaînes de sons. Il se fait dans ces chaînes un certain nombre de réactions purement physiques (l'assimilation, que l'on peut observer dans les images radiocinématographiques). Mais il se fait aussi des réactions qui tiennent compte de la structure de la langue: on peut donc les classer parmi les phénomènes phonologiques. Dans ce qui suit, nous en examinerons trois: l'élision, l'enchaînement et la liaison. L'élisionEn français, chaque voyelle donne une syllabe. En principe, là où deux
voyelles entrent en contact dans la chaîne parlée, le résultat est deux syllabes.
Or, dans le cas d'une voyelle en particulier, le e muet /
Notez que dans le premier cas, il y a un e muet devant une consonne. Et dans
le deuxième cas, le e muet tombe devant la voyelle /y/. Cependant, dans le
troisième exemple, il y a une voyelle qui reste devant /y/. Nous considérons
qu'il s'agit d'une autre voyelle que le e muet, en partie à cause du fait
qu'elle reste (et aussi à cause du fait qu'elle peut porter l'accent: p.ex. /f La chute du e muet devant une voyelle s'appelle l'élision. Elle se fait systématiquement en français. Par contre, il existe d'autres cas d'élision beaucoup moins systématiques. Par exemple, la voyelle /i/ de si tombe devant le pronom personnel il(s), mais non pas devant d'autres pronoms (p.ex. si elles). Dans les cas pareils, il faut apprendre les exemples individuellement. Même dans le cas du e muet, le taux de réalisation dépend d'un ensemble de facteurs stylistiques. On en trouve davantage dans le langage soigné que dans le langage familier.
L'enchaînementNous avons déjà vu qu'en français, il y a une préférence pour les syllabes ouvertes. Une des conséquences de cette tendance est le fait de diviser la suite VCV comme V CV et non pas comme VC V. Cette tendance est tellement forte que lorsque deux mots se trouvent en contact dans la chaîne parlée, si le premier finit par une consonne, et l'autre commence par une voyelle, on déplace la frontière entre les syllabes. Cela s'appelle l'enchaînement. Prenez les exemples suivants:
Dans le premier cas, (une petite soeur), on trouve une consonne à la
fin de petite et une autre au début de soeur. La division en
syllabes se fait entre les deux mots, selon la structure VC CV. Mais dans le
deuxième exemple, on trouve une consonne à la fin du premier mot mais une
voyelle au début du deuxième. Dans ce cas-ci, la division en syllabes se fait de
la façon suivante: /yn-p
La liaisonDans le cas de l'enchaînement, il y a déplacement de frontières syllabiques, mais le nombre total de phonèmes reste le même. Par contre, dans la liaison, on retrouve des ajustements qui changent le nombre de phonèmes selon le contexte. Voyons les exemples suivants: Notez que dans les exemples en (1), on trouve la consonne /z/ entre les deux
mots, tandis que cette consonne fait défaut dans les exemples en (2). En outre,
là où la consonne est présente, la frontière syllabique se déplace: on prononce:
/il-z L'emploi d'une consonne de liaison est une indication de dépendance dans un groupe. Un élément qui dépend d'un autre, comme un pronom personnel, qui dépend du verbe, ou un déterminant, qui dépend du nom, fera la liaison avec l'élément suivant, si cet élément suivant commence par une voyelle. Dans les cas pareils, on parle de liaison obligatoire. Par contre, un élément qui ne dépend pas d'un autre ne fera pas la liaison avec l'autre. Prenons les exemples suivants:
Dans le premier cas, le nom Jean ne dépend pas du verbe attend, et la liaison ne se fait pas. De même, dans le deuxième exemple, le nom soldat ne dépend pas de l'adjectif armé. Là encore, la liaison ne se fait pas. Dans les cas pareils, où un élément supérieur ne peut pas entrer en liaison avec un élément dépendant, on parle de liaison impossible. Entre les deux extrêmes, on trouve une série de cas où la liaison peut se faire ou non. En principe, on fait la liaison plus souvent dans le discours poétique, officiel ou soigné, et moins souvent dans le discours familier et quotidien. Par exemple, il existe pour chacun des cas suivants deux prononciations possibles:
L'accentQuand on parle, on utilise en général des suites ou des chaînes de sons. Dans le cas de chaque son, il y a un certain nombre de paramètres ou caractéristiques qui peuvent varier. Pour le tester, prononcez la chaîne suivante:
Essayez d'insister sur le deuxième [a]. Notez qu'il y a plusieurs façons de le faire. On peut mettre plus de force sur la voyelle que sur les voyelles qui l'entourent. En d'autres termes, il y a plus d'air qui sort des poumons, et une plus grande vibration des cordes vocales. Ou bien, on peut augmenter la fréquence de sa voix. Dans ce cas, les cordes vocales vibrent plus rapidement. Ou bien encore, on peut mettre plus de durée sur la voyelle qu'on veut mettre en valeur, dans le sens que la syllabe formée par la voyelle dure plus longtemps que les autres. Très souvent, les trois facteurs (force, fréquence et durée) co-existent dans un même cas. Il existe, cependant, des préférences particulières à chaque langue. Le français, par exemple, a tendance à utiliser la durée plus que les autres facteurs, selon les mesures instrumentales. Par conséquent, si on veut imiter un `accent français', il faut surveiller la durée des syllabes qu'on accentue.
L'accent finalIl y a des langues où la place de la syllabe accentuée varie d'un mot à
l'autre. Ainsi, en anglais, on distingue
Notez que l'accent tombe toujours sur la dernière syllabe du groupe. On l'appelle l'accent final. C'est cela qui explique pourquoi les non-francophones ont parfois des difficultés à identifier les mots en français. Mais quelle est la nature de ce groupe? Prenons les exemples suivants:
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